„La révolution arabe est aussi singulière que l'était la Nahda inaboutie du siècle précédent, mais elle se décline, tout comme elle, au pluriel de multiples situations locales. La différence majeure entre ces deux vagues historiques est que les visées panarabes de la Nahda ne sont plus de mise aujourd'hui, car c'est dans le cadre de l'Etat-nation et de ses frontières postcoloniales que se joue le destin de chacun des mouvements contemporains d'émancipation arabe. La geste révolutionnaire est vécue comme une lutte de libération, avec ses martyrs, ses emblèmes et ses hymnes.
L'intifada démocratique résiste aux menées répressives des différents régimes par sa capacité à mobiliser, non pas des »masses« abstraites, mais des communautés concrètes, vivaces et enracinées. D'où l'embarras des observateurs face à des coalitions instables de partis et de syndicats longtemps clandestins, d'associations citoyennes, de tribus pugnaces, de confréries religieuses, d'exilés patriotes et d'assemblées villageoises. D'où la recherche aussi vaine que fréquente d'un »chef«, d'un »leader« à opposer au dictateur déclinant ou déchu.
La révolution arabe n'a que faire d'un dirigeant charismatique, ses héros et ses références sont des sans-grade, à l'image de Mohammed Bouazizi, le vendeur à la sauvette de Sidi Bouzid, dont l'immolation a enflammé le monde arabe.”