„Vieil ami. Tout nous touche chez André Kertész, né à Budapest en 1894, et mort à New York en 1985 sans jamais oublier la France, qui l’adopte dès son arrivée, en 1925. C’est donc presque un siècle d’émotions qu’embrase cette rétrospective fabuleuse élaborée par Annie-Laure Wanaverbecq et Michel Frizot. Elle souligne d’abord la richesse spirituelle d’un homme «sentimental», attaché à sa famille et à sa femme Elisabeth, puis son désir de s’exprimer librement, en toutes circonstances, qu’il ravisse son oncle Poldi ou Mondrian dans son atelier, tout près du café du Dôme, «la vraie maison des artistes». Il n’est pas un romancier du réel, l’un de ces courtiers du sentiment éprouvé, ni un reporter à la petite semaine. Il est dans le mouvement de ce qui retient son attention, et nous le fait partager comme si on était à ses côtés. Il a cette faculté, si rare, de ne pas plomber ses sujets dans un cadre, de ne pas les emprisonner, mais de laisser la porte ouverte aux pensées.
C’est cette amplitude qui caractérise Kertész («jardinier» en hongrois), qui ne fait rien comme les autres, y compris avec les sujets qu’il choisit avec un luxe de simplicité. Un garçon endormi. Des chaises au Jardin du Luxembourg. Une danseuse détendue comme une girouette sur un canapé. La rue des vertus, la nuit. Des moutons. Tout est profitable aux yeux de Kertész, en quête d’humanité et de subjectivité, comme il le précise lui-même : «J’ai toujours essayé de créer quelque chose avec les petites choses sans importance. Quand le sujet est touchant pour moi, je peux faire quelque chose, mais je veux faire, seul, exactement ce que je ressens.» Kertész est aussi un technicien hors pair, capable de construire un reportage pour Vu, le magazine de Lucien Vogel. Ou de produire pour le Sourire, «un magazine girly», une suite étonnante de nus féminins, les fameuses Distorsions, grâce à des miroirs déformants qui donnent aux modèles des allures de gorgone.”