„Les élections égyptiennes, marocaines et tunisiennes l'ont confirmé en moins de deux mois: l'islamisme politique est à cette étape le grand bénéficiaire des »printemps arabes«. Les icônes éphémères des révolutions Facebook et Twitter, à commencer par Slim Amamou en Tunisie ou Wael Ghonim en Egypte, ont cédé la place aux »barbus« Hamadi Jebali, du parti Ennahda, et Essam Al-Arian, figure de la confrérie des Frères musulmans. La victoire de ces derniers, qui n'est pas une surprise, frappe cependant par son ampleur.
S'ils n'ont pas été les premiers à descendre dans les rues pour obtenir la fin de régimes autoritaires corrompus et usés, les islamistes ont enfin pu convertir en pourcentages et en sièges des décennies de lutte opiniâtre contre des pouvoirs auxquels les Occidentaux ne trouvaient pas grand-chose à redire à la veille de leur effondrement. La déception que provoque chez ces derniers la disparition de ces figures occidentalo-compatibles se double désormais d'une sourde inquiétude dopée par l'émergence d'un fondamentalisme religieux incarné par le courant salafiste. Un courant radical assez éloigné de l'islamisme conservateur de l'AKP turc érigé parfois en modèle sur la rive sud de la Méditerranée.
Cette émergence présente au moins une vertu pour ceux qui avaient déjà oublié que l'islam a été utilisé en Irak pour justifier l'une des plus meurtrières guerres de religion entre »frères« de la région, et que la grande fracture entre sunnisme et chiisme est plus béante que jamais de part et d'autre du golfe Arabo-Persique. L'islamisme politique, loin d'être uniforme, fait désormais l'étalage de divisions longtemps masquées par la solidarité à laquelle le contraignait la répression.”