les cours européennes ont tendance à niveler ces identités et à imposer à tous les Etats un système de valeur qui fait abstraction de leur histoire, de leur culture, de leur religion…
Cette manière de procéder est particulièrement notable s’agissant de la Cour européenne des droits de l’homme qui s’est écartée de sa vocation première consistant à défendre un certain nombre de valeurs communément partagées, mais tend à imposer aux Etats des valeurs communes, par une interprétation créatrice et évolutive de la Convention européenne des droits de l’homme qui reflète en réalité non pas la volonté des Etats parties, mais les propres conceptions idéologiques des juges sur des questions comme par exemple, la famille ou la fin de vie. Par ailleurs l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne par la Cour de justice de l’Union européenne, dans un champ de compétence de l’Union toujours plus largement compris, renforce ce phénomène.
En outre, même ces deux grands tribunaux européens se rivalisent en supériorité et en primauté. Ils ne se mettent pas d’accord sur toutes les questions, ils ne parlent pas toujours la même langue. Il y a quelques années, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rejeté l’adhésion à la convention européenne des droits de l'homme pour prévenir l’érosion de l’autonomie de son ordre juridique. C’était un grand écart. Dans le cas de la Hongrie et son système d’asile, nous avons maintenant deux arrêts différents des deux tribunaux. En l’occurrence, la Cour de Strasbourg a jugé l’établissement des zones de transit légal et par conséquent conformément avec la convention, mais en revanche, la Cour de l’UE a récemment dit que ces zones soient considérées comme des lieux de détention. Evidemment, il y a un très grand écart entre les deux tribunaux quant aux interprétations des concepts juridiques et des approches ou des visions fondamentales. Qu’est que vous pensez de la relation entre les deux tribunaux, de la fragmentation du droit et de cette affaire particulière ?
Sur un plan général, en théorie les compétences des deux cours ne se recoupent pas et leurs décisions ne sont pas hiérarchisées. La cour de Strasbourg ne peut intervenir que dans le champ des compétences attribuées à l’Union, et la Cour de Strasbourg a compétence pour protéger les droits fondamentaux dans un espace plus large. Il n’en reste pas moins que l’extension des compétences juridictionnelles de l’une et de l’autre de ces cours, étend le champ commun d’intervention. Par l’application de la Charte des droits fondamentaux, la Cour de Luxembourg peut intervenir largement en ce domaine et, plus encore, au nom de la protection de l’Etat de droit, elle est susceptible de définir ses propres critères d’une bonne gouvernance et de l’imposer aux Etats, ce qui ne ressort pas de la vocation première de l’Union européenne. D’un autre point de vue, la résistance de la Cour de justice à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme témoigne de la crainte que la Cour européenne des droits de l’homme ne devienne, dans une logique fédérale, la véritable Cour suprême européenne. Dans le système tel que nous le connaissons, le législateur national doit respecter à la fois la jurisprudence de la cour constitutionnelle, celle de la Cour de justice de l’Union européenne et celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Indépendamment du fait qu’il se trouve parfois ainsi « corseté » et soumis à un contrôle juridictionnel au nom de normes juridiques peu prévisibles, la divergence des jurisprudences (le dialogue des juges n’étant pas exclusif de rivalités de pouvoirs) peut le mettre dans une situation particulièrement difficile.
L’exemple de divergences entre la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et celle de la Cour de Luxembourg relative à la rétention des demandeurs d’asile en Hongrie est particulièrement topique de cette situation.