„La conquête est d'autant plus belle que l'endroit n'appartenait plus à personne. Ecartelé entre le bâtiment du musée et celui de l'administration centrale, entre les antiquités et la bureaucratie, les deux grandes mamelles nationales, on y chercherait en vain un symbole de la tyrannie à abattre.
C'est que, dans une ville si vaste et si peuplée qu'on y logerait presque deux fois la population de la Tunisie tout entière, le pouvoir est à la fois partout et nulle part. Partout, comme en témoignent les carcasses calcinées des pick-up de la police, qui gardent encore ministères, commissariats, tribunaux, les innombrables bâtiments d'une puissance publique obèse, depuis trop longtemps dérobée au peuple égyptien. Nulle part, puisque le palais présidentiel lui-même est tellement éloigné du centre que les protestataires ont, jusqu'à présent, renoncé à parcourir en cortège les 17 km qui les en séparent.
Alors qu'autrefois la puissante citadelle du Caire, résidence du sultan, du pacha ou du vice-roi, rappelait à la ville la présence de l'Etat, le régime actuel n'a plus que de faibles symboles à opposer à sa capitale. Ils sont désormais tournés en dérision, comme ces statues couvertes des slogans de la révolution.
Les événements qui bouleversent l'Egypte rappellent à ceux qui l'avaient oublié à quel point l'histoire du pays est liée à celle de sa capitale. La plus grande faiblesse des puissants du moment est d'avoir abandonné Le Caire à leur mépris, d'avoir laissé la ville et ses habitants s'étouffer dans la pauvreté, les ordures et les infrastructures hors d'âge. Sur les banderoles de la place Tahrir, on pouvait lire: »Non à la ruine! Oui à la liberté!« Le Caire s'est bel et bien réveillé.”