Néanmoins, selon les détracteurs, le consentement général des Etats était créé par les tribunuaux d'arbitrage au début des années 1990 par d’interprétation des traités. Est-ce que les Etats soient plus libre de le changer ?
C’est en fait une simplification. Le consentement vient de traités, qui ont été négociés et ratifiés par les États. Ce qui a changé dans les années 1990 a été l’abandon de l’exigence d’un contrat pour que le consentement de l’État soit établi. Pour le dire vite, un traité seul n’était pas suffisant au départ, le consentement de l’État devait être par ailleurs exprimé dans un contrat. Les tribunaux arbitraux ont peu à peu abandonné cette exigence, considérant que le consentement exprimé dans les traités se suffisait à lui-même. Mais c’est là qu’il faut savoir raison garder : les États auraient très bien pu modifier leurs traités pour exclure cette possibilité. Ils ont parfaitement le droit de le faire. Mais aucun État n’a réagi et même dans le cadre des arbitrages, dans leurs arguments de défense, les États n’ont jamais soulevé l’absence de consentement faute de contrat. Il ne faut pas oublier une chose fondamentale : tout ce système est fondé sur le droit international et le droit international est fait et peut être modifié par les États. Lorsqu’un État se plaint du droit international, il ne faut donc pas oublier qu’il l’a accepté à un moment donné.
De manière générale, on constate que les traités ne consacrent rien d’autre que les principes de l’État de droit. Et ceux qui les critiquent le plus sont rarement ceux qui sont exemplaires en la matière. Un autre sujet est celui des indemnisations parfois excessives accordées aux investisseurs. Ce point est un vrai sujet de discussion à mon avis (mais qui est absent du débat public alors qu’à mon avis, c’est là qu’est le problème principal…Mais c’est une question technique, complexe et peu attrayante, donc moins présente dans les discussions). Mais sur le principe même soumettre le fonctionnement d’un État à un contrôle indépendant pour respecter les règles basiques de la rule of law ne me semble nullement choquant.
Suite aux vagues d’adhésion de 2004, 2007 et 2013 qui ont vu 13 nouveaux Etats membres accédér à l’Union, presque 200 traités d’invistissement sont devenus des traités intra-Européens et ainsi ont commencé à poser des problémes de point de vue du droit de l’Union européenne. La Cour de justice de Luxembourg a finalement déclaré ces traité incompatible avec le droit de l’UE. Pourquoi, selon vous, sont-ils incompatile avec le droit de l’UE ?
Cela peut se comprendre dans la logique du droit de l’Union. La Cour en a décidé ainsi car elle considère qu’un traité d’investissement peut donner lieu à un litige devant un tribunal arbitral, qui pourrait être conduit à appliquer le droit européen et donc à faire concurrence à la Cour de justice. Le risque est évidemment celui d’une divergence d’interprétation entre la Cour et les tribunaux arbitraux. Ce qui est très regrettable est qu’il existe une procédure, le renvoi préjudiciel, par laquelle les juges nationaux (qui eux-mêmes appliquent le droit européen quotidiennement) peuvent poser à la Cour de justice une question en cas de doute. La Cour n’a pas voulu ouvrir ce droit de recours aux tribunaux arbitraux (alors qu’au prix d’une autre interprétation des traités européens elle aurait sans doute pu le faire), ce qui aurait pourtant permis de préserver son rôle de cour suprême de l’ordre juridique européen et de garantir la cohérence de l’application de ce droit. Car, encore une fois, du point de vue du droit européen cette solution est logique. Il est simplement ironique de voir que dans le cadre du processus d’adhésion de ces États la Commission les avait incités à signer des traités d’investissement avec les États membres et qu’aujourd’hui elle combat ces mêmes traités.